Le protocole
scientifique

 

À la fois texte et geste, le manifeste est un genre qui se laisse difficilement circonscrire, car sa définition fait appel non seulement à des caractéristiques discursives et aux modalités de sa circulation publique, mais aussi à son impact sur le champ culturel de l’époque et dans l’historiographie. Alors comment se saisir de cet objet non systématique, aux enjeux de production et de réception multiples?

 

Pour constituer cette base de données, un certain nombre de problèmes méthodologiques ont dû être résolus en amont. Le texte qui suit vise à expliciter les choix et les principes méthodologiques qui ont guidé l’équipe dans ce travail.

 

La définition du manifeste?

La première question à laquelle nous avons été confrontées fut celle de la constitution du corpus. Quels textes inclure dans la base de données et selon quels critères? Si évidente qu’elle soit, cette question est aussi la plus complexe.

Procéder selon une seule définition serait insuffisant, car cela présupposerait l’existence d’une sorte d’idéal-type du manifeste, ce qui est loin d’aller de soi. Dans la mesure où il proclame toujours une position nouvelle dans les arts, le manifeste est conditionné par l’état du champ artistique à l’époque de sa publication et relève nécessairement d’une grande variété de formes et de discours. Les définitions existantes du genre, nombreuses, reflètent d’ailleurs cet ordre des choses : chaque auteur d’anthologie applique ses propres critères qui permettraient de regrouper sous l’étiquette de « manifestes » des textes séparés par un laps de temps plus ou moins large.

Comme toute définition est susceptible d’être invalidée par hétérogénéité du genre, il a fallu coupler ce critère avec un critère de sélection plus large : celui de sa réception. On peut considérer que si un manifeste a été présenté et reçu comme tel, il a aussi opéré comme tel dans l’imaginaire collectif, [ce qui, en retour, a influencé l’imaginaire du genre]. Par conséquent, les manifestes rassemblés dans les diverses anthologies du genre ont été pris en compte, mais aussi ceux relevés par les spécialistes du domaine de l’art. Afin d’assurer une aussi grande transparence que possible, la référence à l’anthologie ou à l’ouvrage critique qui classifie le document comme un manifeste a été indiquée le cas échéant.

Pour ouvrir à des usages divers de la base, il a paru important que l’utilisateur puisse modifier son corpus en fonction de l’objectif de son étude : si l’on s’intéresse à la dynamique du champ de l’art, une sélection large est préférable, permettant de saisir, par exemple, des textes de positionnement qui ne sont pas produits dans le cadre d’un regroupement. Si, au contraire, on s’interroge sur la forme du manifeste, une sélection plus restreinte pourrait être intéressante, dans la mesure où elle rendrait possible une étude de l’évolution des traits distinctifs du genre.

C’est pourquoi il est possible de restreindre les recherches dans la base à un corpus de documents qui se revendiquent du genre (critère d’intentionnalité), et/ou qui correspondent à une définition générale du manifeste (critère définitoire). La définition sélectionnée est celle donnée dans le Dictionnaire de l’Académie française, selon laquelle le manifeste serait un « [t]exte, [un] écrit par lequel un mouvement littéraire ou artistique expose ses intentions, ses aspirations ». Cette définition met l’accent à la fois sur la dimension collective et programmatique des manifestes, sans exclure qu’un mouvement en publie souvent plusieurs. Elle présente aussi l’avantage de correspondre au discours qui était propre aux manifestes artistiques lors de la constitution du genre, vers la fin du XIXe siècle, un choix qui, loin d’être motivé par une attitude normative, permet de faire ressortir dans quelle mesure le manifeste est utilisé aujourd’hui dans sa forme canonique.

Domaine d’appartenance

Le manifeste est peut-être le seul genre dont se sont emparés les artistes et les théoriciens de tous les domaines de la création : des arts visuels et performatifs à la littérature, en passant par le cinéma, la photographie, l’architecture, la danse, la BD etc. Inclure des manifestes de l’ensemble de ces disciplines nous permet par exemple d’évaluer la transdisciplinarité d’un mouvement et de comparer les caractéristiques discursives et formelles d’une discipline à l’autre.
En outre, le manifeste est aussi un genre pluridisciplinaire, pouvant concerner plusieurs domaines de l’art en même temps, ce qui est typiquement le cas des manifestes produits dans le cadre des mouvements d’avant-garde. Il n’y a donc pas de limites au nombre de domaines dont un manifeste peut relever. L’interdisciplinarité du manifeste recoupe aussi souvent l’espace politique, et cela systématiquement dans la période des avant-gardes historiques. Comme cette coprésence se vérifie le plus souvent dans le champ de l’art et de la littérature – qui sont aussi les domaines majoritaires dans la base – la base prévoit les catégories Art (politique) et Littérature (politique). Toutefois, puisque le manifeste relève toujours d’une « politique de l’art », la dimension politique doit être explicitement présente dans le texte pour que ces labélisations soient pertinentes.

Borne chronologique

Manart concerne le XXe et XXIe siècle. Une borne de départ a été fixé en 1886, date de parution dans Le Figaro du « Symbolisme » de Jean Moréas, La base de données n’a pas de date de fin, car elle continuera à évoluer au fil du temps. D’ailleurs, une étude sur la fréquence de parution des manifestes en France (Bloomfield &Tjell 2013) fait apparaître un retour de la forme manifestaire au début des années 2000, qui semblerait en partie lié à l’accessibilité d’Internet et à l’explosion conséquente de nouveaux espaces d’expressions et de diffusions. Cette hausse de la production manifestaire laisse des questions ouvertes quant à l’évolution du genre, relatives tant à la fréquence de parution des manifestes qu’à l’usage que l’on en fait. Ce sont là autant de questions auxquelles Manart tente de répondre.

Pays

Il n’est pas toujours aisé de déterminer l’appartenance nationale d’un manifeste. Faut-il prendre en compte le pays de publication, la nationalité de son auteur, ou encore celle de son public principal? Comment considérer par exemple le Manifeste de Monsieur Antipyrine (1916) de Tristan Tzara, publié en Suisse pendant la Première Guerre mondiale, tandis que le public était en grande partie français ? Et le manifeste VVV (1942) publié par Breton à New York dans une revue anglophone? Pour répondre à ce genre d’ambiguïtés, uniquement le pays de publication a été indiqué, considérant que c’est là où le manifeste a rencontré son premier public.

Support

On associe le plus souvent les manifestes à des textes (tracts, articles de journal, préfaces ou même livres). Mais pour rendre compte du phénomène manifestaire, il faut également prendre en compte des manifestes « sortis de la page ». On entend par là tout autant les performances dadaïstes, que la production plus récente dans le domaine de l’audiovisuel (Mierle Laderman Ukeles, Manifesto for Maintenance Art, 1969), des sculptures et installations-manifestes (Yael Bartana, And Europe will be stunned. Manifesto, 2012), ainsi que des maquettes d’architecture. La grande variété de formes exposées souligne ainsi la pluridisciplinarité exceptionnelle du genre.

Résultats

Cette rubrique présente quelques résultats issus de recherches effectuées dans Manart. Il peut s’agir de publications scientifiques, d’articles de vulgarisation, ou de liens vers des manifestations scientifiques.